Convertir un véhicule thermique en électrique fait rêver beaucoup de particuliers… et intéresse de plus en plus les entreprises. Entre contraintes environnementales, zones à faibles émissions et flambée du carburant, le retrofit moteur électrique n’est plus un gadget de passionné : c’est une véritable option stratégique.
Mais comment s’y retrouver entre les promesses marketing, les contraintes réglementaires françaises et la réalité du terrain, surtout pour des flottes professionnelles ? C’est exactement ce que nous allons décortiquer ensemble.
Qu’est-ce que le retrofit moteur électrique, exactement ?
Le retrofit consiste à retirer le moteur thermique (essence ou diesel) d’un véhicule existant pour le remplacer par une chaîne de traction électrique.
Concrètement, on démonte :
- le moteur à combustion
- le réservoir de carburant
- la ligne d’échappement
- certains éléments de la transmission, selon les kits
Et on installe :
- un moteur électrique (ou plusieurs, selon le véhicule)
- un pack batterie
- un chargeur embarqué
- l’électronique de puissance et de contrôle
- un système de gestion batterie (BMS)
Le tout en respectant un cadre réglementaire très strict en France, avec une nouvelle réception du véhicule, une mise à jour de la carte grise et des performances encadrées (puissance, poids, sécurité, etc.).
Le résultat : un véhicule qui garde sa structure, son châssis, sa cabine, mais change de cœur énergétique. En d’autres termes, vous recyclez l’ossature dans laquelle vous avez déjà investi, tout en supprimant le moteur polluant.
Pourquoi les flottes professionnelles s’y intéressent-elles autant ?
Dans le cas d’un particulier, le retrofit est souvent un choix de cœur ou de conviction écologique. Pour une flotte professionnelle, c’est plus froidement… un sujet de business.
Les principaux moteurs de décision :
- Zones à faibles émissions (ZFE) : de plus en plus de villes restreignent l’accès aux véhicules Crit’Air 3, 4, 5, puis bientôt 2. Pour les véhicules utilitaires légers (VUL) et les camions de livraison, la continuité d’activité en centre-ville devient un enjeu vital.
- Allonger la durée de vie d’un parc : certains véhicules encore en bon état (châssis, carrosserie, aménagements spécifiques) deviennent rapidement obsolètes uniquement à cause de leur motorisation thermique. Le retrofit permet de repartir pour plusieurs années tout en respectant les nouvelles règles.
- Maîtriser le TCO (coût total de possession) :
- moins de pièces en mouvement
- moins d’entretien (pas de vidange, pas de courroie de distribution, pas de FAP…)
- énergie moins chère au km (surtout si combinée à une production photovoltaïque)
- Image de marque : une flotte utilitaire rétrofitée devient un argument commercial. Pour un logisticien, un artisan, une collectivité, montrer des véhicules convertis à l’électrique est un signal fort.
- Optimisation fiscale et subventions : aides nationales et locales, amortissements, suramortissements possibles dans certains cas… Nous en reparlerons plus loin.
Une flotte professionnelle ne choisira pas le retrofit pour « le plaisir » mais parce que l’équation économique et réglementaire tient la route sur 5 à 10 ans.
Quels types de véhicules sont adaptés au retrofit ?
Tout véhicule ne se prête pas de la même manière à une conversion électrique. En France, le retrofit est plutôt encadré autour de certaines catégories.
Les candidats les plus fréquents :
- Véhicules utilitaires légers (VUL) : fourgons type Renault Master, Trafic, Peugeot Boxer, Citroën Jumper… Idéals pour des tournées urbaines ou périurbaines avec des trajets répétitifs.
- Poids lourds et bus : certains acteurs proposent des kits pour camions de collecte, autocars scolaires, bus urbains. L’intérêt est particulièrement fort pour les collectivités et les opérateurs de transport.
- Véhicules particuliers : citadines, compactes, parfois même quelques youngtimers ou modèles de collection. Ici, la logique est souvent plus militante ou patrimoniale.
- Véhicules spéciaux : bennes à ordures ménagères, utilitaires avec équipement spécifique (nacelles, frigorifiques, etc.), quand le coût de remplacement complet serait exorbitant.
À l’inverse, certains cas sont moins pertinents :
- véhicules très anciens en mauvais état structurel
- modèles pour lesquels aucun kit homologué n’existe (ou ne se développera, faute de volume)
- gros rouleurs autoroutiers pour lesquels l’autonomie reste un frein majeur
En résumé : plus les trajets sont réguliers, connus à l’avance et centrés en zone urbaine/périurbaine, plus le retrofit devient intéressant.
Comment se passe techniquement une conversion électrique ?
Chaque industriel a ses spécificités, mais un schéma général se dégage :
- Audit du véhicule : état général, châssis, corrosion, compatibilité avec un kit existant, analyse d’usage (trajets typiques, charge utile, besoin d’autonomie).
- Démontage du groupe motopropulseur thermique : moteur, boîte selon les cas, ligne d’échappement, réservoir, éléments de refroidissement, etc.
- Intégration du moteur électrique :
- montage en lieu et place de l’ancien moteur
- ou installation dans une autre position (pont arrière motorisé, par exemple)
- Installation des batteries : sous le plancher, à l’emplacement du réservoir, parfois sur le toit pour les bus, en gardant un centre de gravité sûr et en respectant les charges admissibles.
- Câblage haute tension et basse tension :
- liaison batterie–moteur–convertisseur
- intégration du BMS
- adaptation de la climatisation ou du chauffage
- Adaptation des interfaces : affichage du niveau de charge, compteur de vitesse, éventuellement récupération d’énergie au freinage.
- Homologation et essais : contrôle technique, réception à titre isolé (RTI) par la DREAL ou via un kit homologué de série, mise à jour de la carte grise en « électrique ».
Le tout doit respecter la réglementation retrofit française (décret de 2020), qui impose notamment :
- un véhicule de plus de 5 ans (ou 3 ans pour utilitaires)
- une puissance équivalente ou inférieure au moteur d’origine
- un kit ou une solution validée par l’administration
Étapes clés pour réussir le retrofit d’une flotte professionnelle
Pour une entreprise, convertir un ou deux véhicules « pour voir » n’a pas le même impact que repenser toute une flotte. Il faut une méthodologie.
Voici une démarche type :
- 1. Cartographier l’usage réel des véhicules :
- kilométrage quotidien moyen et maximal
- temps d’arrêt (fenêtres de recharge possibles)
- profil de route (urbain, périurbain, autoroute)
- massiques : charge utile réellement utilisée
- 2. Identifier les « bons candidats » au retrofit :
- véhicules relativement récents mais menacés par les ZFE
- modèles pour lesquels il existe déjà une offre de retrofit
- parc homogène (même modèle répété) pour gagner en volume et coûts
- 3. Comparer avec l’achat de véhicules neufs électriques :
- prix de conversion vs prix du neuf
- durée d’immobilisation
- durée de vie résiduelle du châssis existant
- valorisation potentielle à la revente
- 4. Étudier l’infrastructure de recharge :
- installation de bornes sur dépôt ou site logistique
- puissances nécessaires (AC 7–22 kW, DC pour cas spécifiques)
- gestion de la puissance appelée (pilotage, délestage, éventuelle autoconsommation PV)
- 5. Monter un dossier financier et de subventions :
- aides de l’État (prime retrofit, bonus pour véhicules lourds, etc.)
- aides régionales ou métropolitaines
- dispositifs fiscaux (amortissements accélérés dans certains cas)
- 6. Lancer un pilote :
- quelques véhicules sur des usages représentatifs
- retour d’expérience des conducteurs
- analyse des coûts d’exploitation réels sur plusieurs mois
- 7. Déployer progressivement : en fonction des résultats, des contraintes de ZFE et des opportunités budgétaires.
Le retrofit ne doit pas être vu comme une opération isolée, mais comme un volet d’une stratégie globale de transition énergétique de la flotte.
Et pour un particulier, comment ça se passe ?
Le cheminement est plus simple, mais les questions de fond restent similaires.
Quelques points à se poser avant de se lancer :
- Usage quotidien : combien de km par jour, de longs trajets réguliers ou non, besoin d’autonomie réelle (et pas « au cas où »).
- État du véhicule : si la carrosserie est très attaquée par la corrosion ou si la structure est fatiguée, investir dans un retrofit a peu de sens.
- Budget global : un retrofit homologué en France coûte souvent entre 10 000 et 20 000 € pour un véhicule léger, avant aides. Il faut comparer cela au prix d’un véhicule électrique d’occasion.
- Attachement au véhicule : voiture de collection, modèle rare, véhicule aménagé (PMR, camping-car, etc.)… Dans ces cas-là, garder la base tout en changeant l’énergie peut être très pertinent.
Le processus typique :
- prise de contact avec un acteur du retrofit référencé
- étude de faisabilité sur votre modèle et usage
- devis, intégrant éventuellement la gestion des aides
- prise de rendez-vous, immobilisation du véhicule le temps de la conversion
- réception du véhicule converti, mise à jour de la carte grise
Le point critique reste l’homologation : passer par un professionnel expérimenté, qui maîtrise la réglementation française, est indispensable.
Combien coûte un retrofit électrique, et quelles aides existent ?
Les chiffres varient énormément selon le type de véhicule, la taille de la batterie et le volume de véhicules traités. Quelques ordres de grandeur (à titre indicatif) :
- Véhicule particulier léger : 10 000 à 20 000 € TTC environ.
- VUL de flotte : 20 000 à 40 000 € HT, parfois plus selon la complexité.
- Poids lourds et bus : on parle plutôt de dizaines, voire centaines de milliers d’euros, mais souvent bien en dessous du prix d’un véhicule électrique neuf équivalent.
Côté aides, la situation évolue régulièrement, mais on peut citer :
- Prime au retrofit électrique (France) : pour les particuliers, entreprises et collectivités, sous conditions de revenus, de PTAC et de type de véhicule.
- Bonus écologique et aides locales : certaines collectivités ajoutent une couche d’aide spécifique pour les véhicules professionnels ou les utilitaires convertis.
- Dispositifs pour poids lourds : primes ou appels à projets pour la décarbonation du transport routier, souvent gérés au niveau national ou régional.
Pour un gestionnaire de flotte, la bonne approche consiste à regarder le coût total de possession (TCO), en intégrant :
- investissement initial (retrofit + infrastructure de recharge)
- coût de l’énergie sur plusieurs années
- entretien et immobilisation réduits
- coût d’accès aux ZFE (ou impossibilité d’accès sans retrofit)
Dans bien des cas, surtout pour des usages urbains, le TCO d’un véhicule rétrofité devient compétitif, voire inférieur, à celui d’un thermique maintenu tant bien que mal en activité.
Les principaux points de vigilance avant de se lancer
Tout n’est pas rose non plus, et il vaut mieux connaître les limites du retrofit électrique.
- Autonomie réelle : la taille des batteries est contrainte par l’espace disponible et les masses. On ne fera pas 600 km d’autoroute avec un utilitaire rétrofité conçu pour la ville.
- Charge utile : les batteries ajoutent du poids. Même si l’on supprime le moteur thermique et le réservoir, la masse totale augmente souvent. Il faut vérifier la charge utile restante, surtout pour les véhicules professionnels.
- Homologation et assurances :
- choisir un fournisseur qui maîtrise la réglementation française
- valider en amont les conditions d’assurance du véhicule rétrofité
- Durée d’immobilisation : quelques jours à plusieurs semaines, selon les ateliers et le type de véhicule. À intégrer dans votre plan d’exploitation.
- Pérennité du fournisseur : optez pour un acteur solide, capable d’assurer le SAV, les mises à jour logicielles, voire le remplacement futur de batteries.
En bref : le retrofit est une solution pertinente, mais pas magique. Il s’intègre dans un projet global, et doit être dimensionné avec réalisme.
Quelques cas d’usage concrets
Pour mieux visualiser, regardons quelques scénarios typiques.
Cas 1 : une flotte de VUL en centre-ville
Une PME de logistique urbaine exploite une trentaine de fourgons diesel Crit’Air 3, menacés d’exclusion d’une ZFE dans 3 ans. Les véhicules roulent en moyenne 80 km par jour, avec retour au dépôt chaque soir.
- le retrofit permet de conserver les fourgons existants
- l’autonomie rétrofitée de 150–200 km est largement suffisante
- la recharge nocturne au dépôt simplifie la logistique
- le coût total de conversion est inférieur à un renouvellement complet en véhicules neufs électriques
Cas 2 : une collectivité et ses bus urbains
Une ville moyenne possède une flotte de bus diesel récents, mais déjà sous pression réglementaire pour la qualité de l’air. Renouveler l’ensemble du parc par des bus neufs électriques ou hydrogène serait extrêmement coûteux.
- certains modèles sont compatibles avec des kits de retrofit
- l’ossature des bus est encore en bon état pour au moins 10 ans
- le retrofit devient une solution de transition crédible, couplée à un plan de recharge lente au dépôt
Cas 3 : un particulier attaché à sa petite citadine
Une citadine des années 2000 en très bon état de carrosserie, peu kilométrée, fait le bonheur de son propriétaire pour ses trajets quotidiens. L’accès à la ZFE devient compliqué et les restrictions s’annoncent.
- le propriétaire hésite entre une électrique d’occasion et un retrofit
- il choisit finalement le retrofit :
- par attachement au véhicule
- par volonté de réduire le gaspillage en réutilisant la structure existante
- l’autonomie de 120–150 km couvre largement son usage urbain
Dans chaque cas, la solution n’est pas « miracle », mais répond à un besoin ciblé, avec un projet bien dimensionné.
Retrofit et stratégie énergétique globale : une pièce du puzzle
Le retrofit moteur électrique ne remplacera pas, à lui seul, tous les véhicules thermiques. Il s’inscrit dans une palette de solutions :
- véhicules électriques neufs pour certains usages
- biocarburants ou HVO pour des flottes existantes non convertibles
- hydrogène pour des cas très spécifiques (longues distances lourdes, applications industrielles)
- optimisation logistique, mutualisation des livraisons, report modal
Sa force, c’est de valoriser l’existant. Dans une logique d’économie circulaire et de sobriété, prolonger la vie d’un véhicule ou d’un bus dont la structure est saine, en lui offrant un cœur électrique moderne, a beaucoup de sens.
Pour les flottes professionnelles comme pour les particuliers, la clé est d’aborder le retrofit avec la bonne question : non pas « est-ce que c’est tendance ? », mais « est-ce que c’est pertinent pour mon usage, mes contraintes et mon horizon de temps ? ».
À partir de là, une analyse honnête des coûts, de l’autonomie et des contraintes réglementaires permet de savoir si la conversion électrique de vos véhicules est une simple curiosité… ou une véritable opportunité stratégique.

