Transformer une vieille berline diesel en voiture électrique silencieuse et propre, sans passer par la case « véhicule neuf »… séduisant, non ? C’est précisément la promesse du retrofit électrique : remplacer le moteur thermique et son réservoir par un moteur électrique et une batterie, tout en conservant la structure du véhicule.
Mais derrière l’image un peu « bricolage de garage » se cache en réalité un processus très encadré, à la fois techniquement et légalement. Et, surtout, une vraie question environnementale : est-ce que ça vaut vraiment le coup de rétrofiter plutôt que d’acheter un véhicule électrique neuf ?
C’est ce que nous allons voir ensemble, en passant en revue les enjeux techniques, le cadre réglementaire français, et l’impact environnemental réel de cette transformation.
Retrofit électrique : de quoi parle-t-on exactement ?
Le retrofit électrique désigne la conversion d’un véhicule thermique (essence, diesel) en véhicule 100 % électrique, en remplaçant :
- le moteur thermique (et ses périphériques) par un moteur électrique ;
- le réservoir de carburant par un pack batterie ;
- la ligne d’échappement par… rien du tout ;
- le système de gestion moteur par une électronique de puissance et un calculateur adaptés.
Le reste du véhicule est conservé :
- châssis et carrosserie ;
- intérieur ;
- train roulant ;
- systèmes de freinage et de direction (généralement adaptés, mais pas remplacés intégralement).
Autrement dit, on réutilise ce qui a nécessité le plus de matière et d’énergie à fabriquer (la structure du véhicule), et on remplace ce qui pollue le plus à l’usage (le groupe motopropulseur thermique).
Le retrofit existe pour :
- les voitures particulières ;
- les utilitaires et véhicules de livraison ;
- les deux-roues ;
- et même les autocars, bus ou véhicules de collection.
Mais attention : en France, on est loin du « kit qu’on monte soi-même dans son garage ». Le retrofit est strictement encadré par la réglementation, pour des raisons de sécurité évidentes.
Les enjeux techniques : mettre un moteur électrique dans une voiture qui n’a pas été conçue pour ça
Sur le papier, changer le moteur d’une voiture peut sembler simple. En pratique, c’est un véritable projet d’ingénierie. Chaque choix a des conséquences : sur la sécurité, les performances, l’autonomie, la durabilité.
Choix du moteur électrique et intégration mécanique
Premier point clé : le moteur lui-même. Il doit :
- fournir une puissance au moins équivalente (et légalement, en France, pas supérieure à plus de 20 % à celle d’origine, selon les textes en vigueur à la date de rédaction) ;
- s’intégrer dans le compartiment moteur existant ;
- s’adapter au train roulant, notamment au niveau de la transmission.
Deux grandes approches existent :
- Conserver la boîte de vitesses et accoupler le moteur électrique dessus. Avantage : on réutilise les organes existants, on réduit le travail d’ingénierie. Inconvénient : une complexité mécanique supplémentaire et un agrément de conduite parfois un peu « particulier » (changer de vitesse avec un moteur électrique n’est pas toujours intuitif).
- Supprimer la boîte de vitesses et installer un groupe motopropulseur avec réduction fixe. C’est plus proche de l’architecture des véhicules électriques modernes, mais souvent plus coûteux à développer et plus difficile à intégrer sur un modèle existant.
Dans tous les cas, la robustesse des supports moteur, la gestion des efforts et des vibrations, et l’alignement mécanique sont cruciaux. Un retrofit mal conçu peut entraîner des casses prématurées de transmission ou de cardans.
Batteries : où les mettre, combien, et avec quelles conséquences ?
La batterie est l’autre grande star – et casse-tête – du retrofit.
Les enjeux principaux :
- Emplacement : le plus courant est d’utiliser l’espace de l’ancien réservoir, du compartiment moteur et parfois du coffre. Il faut respecter la structure du véhicule et ne pas affaiblir la sécurité en cas de choc.
- Poids : ajouter plusieurs centaines de kilos de batterie modifie radicalement le comportement du véhicule. Les suspensions et les freins doivent être adaptés en conséquence.
- Capacité : beaucoup de rétrofits pour particuliers proposent des autonomies de l’ordre de 100 à 200 km réels. C’est adapté à un usage urbain/périurbain, mais loin des 400+ km de certains VE neufs.
- Refroidissement : les batteries doivent être maintenues dans une plage de température sûre. Selon le type de pack, on peut avoir un refroidissement passif (air) ou actif (liquide).
C’est là que la différence entre un retrofit « artisanal » et un retrofit homologué industriel se fait sentir : dimensionnement, câblage haute tension, protections, gestion thermique… tout doit être pensé en système, pas en addition de composants.
Sécurité électrique et électronique de puissance
Un véhicule électrique, ce n’est pas seulement un moteur et une batterie. C’est aussi toute une électronique de puissance :
- onduleur pour piloter le moteur ;
- chargeur embarqué ;
- convertisseurs DC/DC ;
- BMS (Battery Management System) pour surveiller tension, température et équilibrage des cellules ;
- câblage haute tension, fusibles, disjoncteurs, contacteurs.
Le tout doit répondre à des normes strictes, notamment en matière de :
- protection contre les chocs électriques ;
- sécurité en cas d’accident (coupure automatique de la haute tension) ;
- gestion des courts-circuits et des surintensités.
On est très loin d’un simple « swap » de moteur : il s’agit d’implanter un système haute tension de plusieurs centaines de volts dans une caisse qui n’a pas été conçue pour ça. Le moindre défaut de conception peut avoir des conséquences graves.
Freinage, châssis et comportement routier
Modifier le poids, la répartition des masses et la puissance change le comportement de la voiture. Un retrofit sérieux implique donc :
- une vérification (et souvent une adaptation) des freins ;
- un contrôle des suspensions et parfois leur renforcement ;
- des essais dynamiques pour valider la tenue de route, notamment en manœuvres d’évitement.
C’est essentiel non seulement pour la sécurité, mais aussi pour obtenir l’homologation.
Le cadre légal du retrofit électrique en France
En France, le retrofit est officiellement encadré depuis l’ordonnance du 13 mars 2020 et ses textes d’application. L’objectif : ouvrir la voie à la conversion électrique, tout en évitant les dérives.
Les principales conditions réglementaires
Sans entrer dans tous les détails juridiques, voici les points clés à retenir pour un particulier :
- Âge du véhicule : la plupart des véhicules particuliers doivent avoir un certain âge minimum (plusieurs années) pour être éligibles. L’idée est de ne pas concurrencer de trop près le marché du neuf.
- Respect de la masse : la masse totale du véhicule après conversion ne doit pas dépasser une certaine limite par rapport à l’origine (pour des raisons de sécurité).
- Puissance : la puissance maximale ne doit pas dépasser celle d’origine de plus d’un certain pourcentage.
- Type de carburant : le véhicule devient officiellement électrique sur la carte grise, avec une mention spécifique de la transformation.
- Homologation : le kit et/ou la transformation doivent être réalisés par une entreprise habilitée et ayant obtenu une homologation (par type de véhicule, ou à l’unité selon les cas).
En clair : impossible (et illégal) de faire soi-même un retrofit complet dans son garage puis d’espérer circuler légalement sur route ouverte. Seuls des professionnels agréés peuvent réaliser un retrofit homologué.
Le rôle des installateurs agréés
En pratique, le parcours type ressemble souvent à ceci :
- choix d’un installateur agréé, qui propose un kit pour votre modèle ou une solution sur mesure ;
- étude de faisabilité (état du véhicule, intérêt économique, configuration technique) ;
- conversion dans l’atelier de l’installateur ;
- passage par les étapes de contrôle (DRIEE, DREAL, selon les cas) si nécessaire ;
- mise à jour de la carte grise avec mention du nouveau type d’énergie.
Le coût global (pièces + main-d’œuvre + démarches) est significatif : pour une voiture particulière, on parle souvent de plusieurs dizaines de milliers d’euros. Le retrofit reste donc aujourd’hui une solution de niche, même si les prix ont tendance à baisser au fur et à mesure de l’industrialisation.
Aides financières : un paysage en mouvement
Pour encourager ces conversions, l’État français a mis en place des aides spécifiques au retrofit électrique, différentes des bonus à l’achat d’un VE neuf. Elles peuvent prendre la forme :
- d’aides nationales dédiées aux véhicules rétrofités ;
- de compléments régionaux ou locaux, notamment dans les zones à faibles émissions (ZFE) ;
- de dispositifs spécifiques pour les professionnels (flottes, utilitaires, bus, autocars).
Montants, conditions de ressources, types de véhicules éligibles : ces paramètres évoluent régulièrement. Avant de lancer un projet, il est prudent de vérifier les dispositifs en vigueur sur les sites institutionnels (par exemple : service-public.fr, ADEME, collectivités locales).
L’impact économique de ces aides est loin d’être anecdotique : dans certains cas, elles peuvent faire basculer un projet de « trop cher » à « raisonnable à moyen terme », surtout pour des véhicules utilitaires intensivement utilisés.
Impact environnemental : le retrofit est-il vraiment « vert » ?
Passons à la question qui fâche (ou qui rassure, selon le point de vue) : est-ce que convertir un véhicule thermique en électrique est aussi vertueux qu’on le lit parfois ?
Fabrication d’un véhicule neuf vs prolongation de la durée de vie
La grande force du retrofit, c’est qu’il évite de fabriquer un nouveau châssis, une nouvelle carrosserie, un nouvel intérieur. Or, c’est précisément là que se concentre une part importante de l’empreinte carbone de production d’un véhicule.
En chiffres (ordre de grandeur) :
- un véhicule neuf thermique ou électrique, c’est plusieurs tonnes de CO₂ émises lors de sa fabrication ;
- en conservant 60 à 70 % du véhicule existant, le retrofit évite une grande partie de ces émissions.
On remplace toutefois un moteur et un réservoir relativement peu gourmands en CO₂ à produire par :
- un moteur électrique (impact modéré) ;
- surtout, une batterie lithium-ion (impact significatif, selon la chimie, la taille et le mix énergétique de production).
Le bilan dépend donc fortement de :
- la taille de la batterie installée ;
- le kilométrage annuel après conversion ;
- le mix électrique utilisé pour la recharge (en France, avantage au nucléaire et aux renouvelables) ;
- l’état initial du véhicule : prolonger de 10 ans la vie d’une voiture en bon état n’a pas le même sens que sauver un véhicule à bout de course.
Usage : émissions à l’échappement et au compteur électrique
Une fois converti, le véhicule rétrofité devient zéro émission à l’échappement : plus de CO, NOx, particules, hydrocarbures imbrûlés. En milieu urbain, c’est un gain immédiat en qualité de l’air.
Reste la question des émissions liées à la production de l’électricité :
- en France, chaque kWh consommé par un VE émet bien moins de CO₂ qu’un km parcouru en thermique, surtout sur le long terme ;
- plus l’électricité est décarbonée, plus le retrofit gagne en intérêt environnemental.
C’est particulièrement vrai pour :
- les véhicules très utilisés (taxis, VTC, utilitaires, flottes logistiques) ;
- les véhicules opérant en ZFE, où l’enjeu sanitaire est majeur.
Cas où le retrofit est particulièrement pertinent
Du point de vue environnemental (et parfois économique), le retrofit brille dans plusieurs scénarios :
- Véhicules utilitaires robustes (type fourgons, camions légers) en bon état de structure, mais très pénalisés par les restrictions de circulation.
- Véhicules de collection, dont on souhaite conserver l’esthétique tout en réduisant l’impact à l’usage, ou pouvoir rouler dans les centres-villes.
- Bus et autocars : retrofit d’un gros véhicule peut économiser énormément d’émissions de CO₂ en évitant la construction d’un nouveau châssis.
- Véhicules particuliers bien entretenus, pour des conducteurs attachés à leur voiture, souhaitant réduire leur empreinte carbone sans passer à un véhicule neuf.
À l’inverse, rétrofiter une petite citadine très âgée, très rouillée, ou peu utilisée chaque année n’a pas forcément beaucoup de sens, ni environnemental ni économique.
Retrofit vs achat d’un véhicule électrique neuf : comment choisir ?
Pour un particulier, la question se résume souvent à :
- « Dois-je rétrofiter ma voiture existante ? »
- ou « Dois-je la remplacer par un véhicule électrique neuf (ou récent) ? »
Quelques axes de réflexion :
- État du véhicule actuel : carrosserie saine, châssis en bon état, aucune corrosion structurelle majeure ? Le retrofit devient envisageable.
- Usage réel : si vous faites surtout des trajets courts, une autonomie modeste (typique des rétrofits) peut suffire.
- Budget : le retrofit reste aujourd’hui souvent proche, voire supérieur, au prix d’un VE d’occasion récent. Tout dépend du modèle à convertir, du kit disponible et des aides.
- Attachement au véhicule : il y a aussi un paramètre émotionnel : certains tiennent à leur voiture (design, souvenirs, modèle rare) et préfèrent la transformer plutôt que la remplacer.
- Impact environnemental global : plus vous comptez garder longtemps le véhicule rétrofité et rouler beaucoup, plus le bilan a des chances d’être favorable.
Dans de nombreux cas, un véhicule électrique d’occasion récent peut être une alternative très pertinente. Le retrofit n’est pas forcément la solution par défaut, mais une option complémentaire à considérer avec discernement.
Ce qu’il faut retenir avant de se lancer
Avant d’engager plusieurs milliers d’euros, quelques bons réflexes :
- faire diagnostiquer votre véhicule (châssis, corrosion, freins, suspensions) pour vérifier qu’il vaut la peine d’être converti ;
- demander plusieurs devis à des installateurs agréés, en comparant non seulement le prix, mais aussi l’autonomie, la garantie, la disponibilité des pièces et l’accompagnement administratif ;
- étudier les aides financières disponibles au moment du projet (nationales, régionales, locales) ;
- calculer votre coût total de possession sur plusieurs années (carburant/électricité, entretien, assurance, péages, stationnement, éventuelles restrictions de circulation) ;
- vous interroger sur votre usage réel : kilomètres annuels, types de trajets, contraintes professionnelles ou familiales.
Le retrofit électrique n’est ni une baguette magique, ni un gadget pour passionnés. C’est un outil supplémentaire dans la panoplie de la transition énergétique des transports, à utiliser là où il est le plus pertinent : pour prolonger intelligemment la vie de véhicules adaptés, plutôt que de jeter systématiquement pour racheter du neuf.
Dans un contexte où chaque tonne de CO₂ évitée compte, où les matières premières ne sont pas infinies, cette approche « sobriété + réemploi + innovation » mérite plus que jamais d’être explorée… avec rigueur technique et un œil attentif sur la réglementation.
